Thales : Hyperconnectivité et dimension cyber :  quelles conséquences en matière d’équipements futurs ? 

20 milliards. C’est le nombre d’objets connectés attendus à l’horizon 2020 selon les principales études. Alors que l’« internet of things » est en passe de devenir l’« internet of everything » dans le monde civil, il y aura assurément un équivalent militaire avec l’« internet des objets connectés des théâtres d’opération ». Conséquence technologique clef de la transformation numérique des forces, cette hyperconnectivité est aussi l’aboutissement de la numérisation du champ de bataille amorcée dès la fin des années 90. Porteuse d’une révolution technologique pour les systèmes d’armes en permettant la collecte, l’échange, le traitement et le stockage de grands volumes de données, cette hyperconnectivité permettra dans un futur proche le développement de l'intelligence artificielle dans les équipements futurs en l’irrigant de données indispensables à son efficacité. Il ne s’agit pas uniquement d’un passage de l’analogique au numérique mais d’une profonde rupture stratégique, à partir de laquelle nous pouvons identifier trois conséquences capacitaires fondamentales : 1) cybersécurité pour résister et durer ; 2) cyber-connaissance pour acquérir et cibler ; et 3) cyber-effet pour gagner.

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1) Cybersécurité. Le développement des objets connectés augmente la surface d’attaque et complexifie le maintien en condition de sécurité. Ainsi, le combat collaboratif d’aujourd’hui et le « Combat Cloud » de demain, nécessiteront des systèmes plus ouverts et une multiplication des flux créant mécaniquement des fenêtres de vulnérabilité.

La connectivité totale oblige désormais à intégrer la cybersécurité dès la conception des systèmes (« cyber by design »), comme une dimension structurante et non comme un mal nécessaire. Les équipements et les plateformes seront toujours plus attaqués du fait de cette hyperconnectivité. Ils devront donc avoir été conçus pour encaisser et retarder les effets d’agressions imprévisibles, apprendre de leurs erreurs, et le cas échéant, pouvoir contre-attaquer.

Le traitement des volumes de données générées par les équipements imposera la création d’un cloud de Défense. Délivrant ses capacités et ses services depuis l’état-major jusqu’au théâtre d’opération, il permettra d’exploiter, de manière sécurisée, toutes les potentialités des futurs systèmes d’armes à grande richesse informationnelle. Si les données sont nécessaires à l’action des forces, leur exploitation massive permettra également d’accroitre significativement les capacités de détection d’attaques, grâce à l’intelligence artificielle en accélérant et assistant le travail humain. Cependant, la centralisation des données, conséquence de l’hyperconnectivité, ne pourra se substituer à un traitement tactique local de l’information. Les armées sont spécialement sensibles à la nécessité de pouvoir fonctionner en mode dégradé : c’est même d’une certaine manière leur raison d’être, fonctionner envers et contre tout, quand plus rien d’autre ne fonctionne, sous le feu cinétique ou cyber-électronique le plus nourri.  Cela peut se traduire, par exemple dans le SIGINT naval, par des architectures adaptées à la gestion dynamique de l’hébergement des données. Ou encore, par un traitement local via des solutions de « edge computing »indispensable à la préservation de l’autonomie de décision sur les théâtres d’opération.
 
2) Cyber-connaissance. Une aptitude à agir dans le cyberespace est devenue incontournable pour acquérir, identifier, discriminer, cartographier et, finalement, cibler. Pour peser sur la scène internationale selon ses intérêts stratégiques et limiter l’incertitude sur les théâtres, notre pays doit consentir aux investissements financiers et humains nécessaires au renforcement de notre capacité de cyber-connaissance. Dans le domaine du renseignement, le big data analytics augmentera significativement les capacités.

Par ailleurs, l’usage de plus en plus massif de la cryptographie, aujourd’hui largement vulgarisée, qui gêne et ralentit les forces de sécurité dans la lutte contre le terrorisme, va se multiplier comme un corolaire de l’hyperconnectivité. Il devient donc impératif de donner aux forces de renseignement de nouvelles capacités d’analyse et de caractérisation des flux chiffrés.

3) Cyber-effet. L’un des principaux enjeux du futur proche est de développer des capacités cyber-offensives, intervenant en appui sur le théâtre d’opération et permettant d’influencer, de neutraliser, voire de détruire.

Dans ce contexte, il faudra développer des solutions et des services permettant d’aider à l’identification de l’origine des attaques informatiques, aujourd’hui souvent longue et complexe. Les algorithmes d’intelligence artificielle dédiés à cette capacité clef pour le droit et pour l’action militaire pourraient apporter de précieux éléments d’appréciation.

Les progrès de l’intelligence artificielle devraient aussi permettre de fournir des options tactiques pour l’offensive dans l’espace numérique, comme le développement d’une virologie militaire capable d’injecter à distance des codes d’attaques tout en limitant les effets collatéraux, à la fois physiques et de caractère cyber.
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L’hyperconnectivité transforme les métiers des forces armées comme ceux de l’industrie. Mais elle impose également une profonde transformation de la relation entre les armées et les industriels : les mécanismes actuels d’acquisition et de conduite de programmes ne permettront pas de répondre à l’impérative agilité des déploiements de solutions évoluant au rythme de la Silicon Valley et non des programmes d’armement. De plus, dans un contexte économique contraint, il est essentiel de mettre en place de nouvelles structures de coopération européenne.

Au plan national, une vision partagée, qui s’incarnerait dans une structure de concertation Etat-Industrie, définissant les feuilles de route des nouvelles technologies et des services dans le cyberespace, semble indispensable. C’est à cette condition que nous pourrons conserver notre indépendance stratégique en renforçant la filière industrielle, unique en Europe, permettant de concevoir des solutions maîtrisées du composant hardware jusqu’aux systèmes d’information stratégiques, s’appuyant sur des équipements de protection et de détection souverains.

Au plan européen, face à une menace globale visant des systèmes interconnectés, seule une réponse coordonnée entre les Etats apportera les moyens de se protéger et de réagir efficacement en cas d’attaque. Sur le plan industriel, le renforcement de champions français et européens dans le domaine des hautes technologies est un défi et une condition nécessaire pour que l’Europe prenne toute sa place dans un contexte où les équipements et logiciels venant des Etats-Unis et de la Chine irriguent tous les systèmes d’information.

Ne nous trompons pas, l’enjeu qui nous attend est la transformation digitale de tout un « éco-système de défense », national et européen, étatique et industriel.  C’est ainsi que les promesses de l’intelligence artificielle nous permettront de gagner les guerres de demain.