Groupe ECA : Les drones : future composante militaire ou simple économie de moyens ?

 
  1. CONTEXTE MILITAIRE ET ECONOMIQUE
Si la guerre du Koweït  a vu l’émergence du missile de croisière et du renseignement satellitaire, les dernières guerres d’Irak, d’Afghanistan, de Lybie et du Mali ont marqué l’avènement des drones aériens (surveillance et ciblage) et terrestres (lutte contre les engins explosifs improvisés). Ces drones sont devenus indispensables aux armées en 15 ans de conflits asymétriques. L’intérêt militaire pour les drones trouve son origine dans le déclin des budgets de défense entrainant des restrictions d’effectifs, la sensibilité aux pertes humaines, les coûts de fonctionnement et la capacité à gérer les flux de données permettant la maîtrise de l’information sur le champ de bataille.
  1. DRONES AERIENS
Le retour d’expérience en Afghanistan a conduit les aviateurs français (des trois armées) à pousser une réflexion doctrinale aboutie sur l’emploi des drones aériens en 2012. Considéré il y a dix ans encore comme une simple contribution à l’économie en heures de vols d’aéronefs pilotés ou comme améliorant les performances d’un système d’armes existant, les drones aériens ont acquis leurs lettres de noblesse comme acteur spécifique et complémentaire des opérations aériennes.
L’armée de l’air s’est dotée de moyens tactiques intérimaires qui ont fait leurs preuves en opérations pour finalement opter pour des moyens opératifs plus lourds (MALE) achetés aux États-Unis.
Les prochaines étapes à franchir pour faire des drones aériens une composante « à part entière » seront l’armement des drones MALE et l’action combinée des drones aériens entre eux ou avec leur pendant terrestre ou naval. Les armées y sont désormais favorables ainsi que les industriels en mesure d’armer ces drones à l’image des Britanniques et des Italiens. Le récent rapport d’information des sénateurs Perrin et Roger « Drones d’observation et drones armées : un enjeu de souveraineté » du 23 mai 2017 montre que la réflexion politique est aboutie et demande une législation.
  1. DRONES TERRESTRES
L’utilisation extensive par l’ennemi d’engins explosifs improvisés (IEDs) sur les routes des convois alliés en Irak, Afghanistan et au Mali ainsi que des colis piégés sur le territoire national ont conduit l’armée de Terre, la Gendarmerie et la police à utiliser des petits robots terrestres de déminage. De faible coût, transportables, rapides et faciles d’emploi, les petits robots terrestres d’observation et de déminage se généralisent sur les théâtres d’opérations.
L’implantation des forces en territoire hostile sous observation permanente de l’ennemi a amené l’armée de Terre à acquérir des drones tactiques puis des drones à voilure tournante IT180 (DROGEN) d’ECA. Ils équipent depuis trois ans des détachements du génie au Mali pour éclairer la progression des convois et appuyer la manœuvre des unités.
Les drones dans l’armée de Terre (robots de déminages et d’observation aériens) restent au stade de l’équipement de l’unité et sont devenus rapidement indispensables sur les théâtres d’opération. Ils  ne seront considérés comme une composante de la manœuvre que lorsqu’ ils seront employés de manière combinée en « équipes » de robots complémentaires et sous condition d’une capacité de tir létal autorisé.
  1. DRONES NAVALS
La problématique des drones est à la fois tactique et stratégique pour la Marine Nationale car elle est liée à la géographie de ses missions.
La première zone couvre 13 millions de km2 environ (Zone Économique Exclusive - ZEE). Le but est d’y défendre nos intérêts économiques et sociaux en détectant des activités illicites et de les contrer par des opérations de police en mer. Des drones aériens embarqués sur nos bâtiments outre-mer et des « planeurs sous-marins » pourraient probablement l’y aider.
La seconde zone maritime est métropolitaine. La marine nationale y défend nos intérêts stratégiques en surveillant les activités militaires étrangères. Elle assure la sureté de la force de dissuasion nucléaire (FOST) et la sécurité de nos approches atlantiques et méditerranéennes. Aucune mine sous-marine ne doit risquer d’entraver leurs accès. Des systèmes de drones  aideraient à la détection de sous-marins intrus et garantiraient l’absence de mines. D’où le système de lutte anti-mine futur (SLAMF), un programme dans lequel ECA à vocation à devenir l’un des principaux acteurs, la guerre des mines étant son domaine d’excellence depuis plus de cinquante ans.
La troisième zone est littorale et étrangère. La France y conduit des opérations parfois ostensibles et discrètes, limitées dans l’espace et dans le temps.  ECA Group réfléchit à un nouveau type de drone sous-marin : discret et fiable, d’endurance moyenne mais doté d’une forte autonomie décisionnelle.
  1. PROBLEMATIQUES INDUSTRIELLES
Appelé à devenir une véritable composante militaire, l’utilité et le potentiel des drones militaires ne laisse pas le choix. Pour assurer son indépendance stratégique, la France doit renforcer d’urgence sa filière industrielle des drones. Notre pays achète des drones à l’étranger alors qu’elle produit des véhicules, des aéronefs et des navires de combats de qualité. Son industrie possède tous les atouts pour tenir le même rang en matière de drones. Pourquoi sommes-nous dans cette situation ? Depuis plus de vingt ans, des investissements publics significatifs ont été consentis à de grandes entreprises françaises qui ne sont pas des dronistes et n’ont pas vocation à l’être. Elles fabriquent des logiciels et des capteurs embarqués pour des drones dont le développement est confié à un spécialiste qui ne peut en choisir la modularité (c'est-à-dire son ouverture à d’autres équipements pour assurer sa rentabilité à l’export), ou à une petite entreprise, française ou non, dont l’expérience et la capacité de production industrielle sont limitées. La France devrait considérer le drone comme une véritable composante militaire, une plateforme dont le développement est confié à un véritable droniste, seul en mesure de développer un produit répondant à son cahier des charges tout en étant adapté au marché mondial. L’idée ne viendrait à personne de faire construire des chars de combat, des sous-marins ou des avions de chasse à des électroniciens. Ils sont conçus et produits par des chantiers navals, des avionneurs ou des véhiculiers. Il doit en être de même pour les drones.
  1. VERS UNE DOCTRINE D’EMPLOI DES DRONES DANS LES ARMEES FRANCAISES ?
Depuis la fin de la guerre froide, les armées françaises se sont dotées d’un solide corpus conceptuel et doctrinal interarmées au sommet duquel trône le concept d’emploi des forces (CEF)  dont la dernière mise à jour date de septembre 2013. Le Centre Interarmées de concepts, de doctrine et d’expérimentations (CICDE) avait publié un an auparavant un concept d’emploi des systèmes de drones aériens. Cependant, la technologie avançant plus vite que la doctrine, les performances des drones ouvrent de nouveaux horizons qui méritent une réflexion doctrinale qui va bien au-delà de la simple économie de ressources humaines et budgétaires. Les industriels dronistes français, pionniers de la robotique comme ECA, appellent de leurs vœux cette réflexion et souhaiteraient l’accompagner.
Guénaël Guillerme
Directeur Général ECA Group
 
Vice-amiral d'escadre (2S) Christian Canova
Conseiller défense et opérationnel ECA Group