ONERA

Au cours des 70 dernières années les recherches de l’ONERA ont évolué en fonction des priorités de la Défense. A l’occasion de cette Université d’été de la Défense 2018 deux thèmes qui illustrent bien l’accélération du temps retiennent particulièrement mon attention.
 
L’innovation au service de la défense :
Depuis sa création l’ONERA s’est inscrit dans un effort de recherche scientifique et technique dans un temps en phase avec celui des programmes aérospatiaux et défense. Ainsi pour l’ONERA l’innovation fut d’abord scientifique et technique et c’est toujours largement le cas aujourd’hui. Depuis quelques années on évoque volontiers l’innovation d’usage. Cette innovation résulte souvent de l’association de technologies existantes et permet de créer des produits ou des services nouveaux en un temps assez bref. On comprend donc aisément que ce schéma séduise ! Pour séduisant qu’il soit il ne faut pas oublier que la mise au point - et donc la disponibilité - des technologies de base est le résultat d’un effort intense de recherche dans le temps long.
 
Les multiples engagements auxquels sont confrontées les Armées exigent une grande réactivité, d’où le souhait d’un recours accru à une innovation en boucle courte.
 
Aujourd’hui un des défis pour la recherche de défense est de concilier le temps long des programmes d’armement et celui de l’innovation très rapide de certains secteurs et particulièrement ceux qui sont tirés par les marchés civils et grand public. Il est aussi nécessaire de vaincre l’aversion au risque. Un centre de recherche comme l’ONERA existe précisément pour mener une recherche à hauts risques mais à hauts gains potentiels. Par ailleurs depuis des années, les structures de financement de la recherche imposent souvent la mise en place systématique de consortia ce qui ne favorise pas nécessairement la prise de risque.
 
Il faut donc être vigilant car les conséquences scientifiques, techniques et économiques des pertes de compétences en R&T ne sont visibles qu’après plusieurs années, voire plusieurs dizaines d’années dans le secteur de la défense où les cycles sont longs.
 
La révolution dans les affaires spatiales :
L’espace est militarisé depuis les débuts de sa conquête : milieu de transit des missiles balistiques et milieu de mise à poste de satellites. En tant que zone de mise à poste, il prolonge la recherche de l’avantage donné par la maitrise d’un « point haut ». C’est aussi un milieu intimement lié aux capacités nucléaires et balistiques des États. Rien de ce qui s’y passe n’est donc anodin pour la France. Des documents officiels comme « La revue stratégique de défense et de sécurité nationale » font d’ailleurs mention de l’espace exo-atmosphérique comme d’un milieu peu régulé qui va devenir de plus en plus un domaine de confrontation entre Etats.
 
Le secteur du spatial en général et du spatial militaire en particulier connaît depuis quelques années de nombreux bouleversements venus des États-Unis. Cette « révolution dans les affaires spatiales » appelée parfois « New Space » a été très largement ignorée ou sous-estimée par les acteurs européens du domaine.
 
Le changement de situation est particulièrement visible et ressenti pour l’accès à l’espace avec les succès que l’on connaît. Bien que cela soit pour l’instant moins perceptible que dans le domaine du transport spatial la révolution concerne aussi les systèmes orbitaux avec l’apparition de satellites plus petits, moins couteux et avec des performances parfois suffisantes pour intéresser la défense. Tout ceci s’accompagne d’un raccourcissement des temps de conception des plateformes et des charges utiles.
 
C’est pour cela que l’ONERA s’engage dans un effort de recherche et de mise au point de technologies spatiales selon quatre axes :
  • la surveillance de l’espace domaine dans lequel l’ONERA a été pionnier en dotant la France du système GRAVES, radar qui permet aux Armées de disposer depuis 2005 d’une élaboration et tenue autonome de la situation spatiale en orbite basse sur les objets de la gamme du mini-satellite. Outre l’accroissement des performances du système actuel, il faut élaborer de nouveaux systèmes capables – entres autres - d’améliorer la détection des satellites ou de s’adapter à la dynamique de nouveaux objets ;
  • l’accès à l’espace pour préparer des lanceurs européens réutilisables en validant en particulier scénarii et des technologies tirant tout le parti de la connaissance aéronautique de l’ONERA. D’ailleurs les lanceurs réutilisables, compte tenu des stratégies de retour sur terre, entrent naturellement dans les domaines de compétences des avionneurs et des missiliers ;
  • la survivabilité des systèmes spatiaux indispensable compte tenu de l’insécurisation croissante de l’espace. Il est en particulier nécessaire de prendre en compte le large spectre d’agressions intentionnelles susceptibles d’être mises en œuvre dans l’espace ou depuis le sol comme les armes à énergie dirigée ou les armes à énergie cinétique ;
  • le développement des nouvelles générations de charges utiles. L’avènement des petits satellites ouvre parallèlement la possibilité de disposer de plateformes souples et multiples. Le défi pour les futurs capteurs est de combiner la performance avec la compacité requise par les nouvelles plateformes. Toutes les missions qui intéressent la défense sont potentiellement concernées par cette révolution.
 
Si nous accusons actuellement un retard c’est avant tout par manque d’initiative et d’audace. Les Européens en choisissant d’adopter une position de suiveur et en refusant le risque lié à l’innovation se placent obligatoirement en position au mieux de deuxième. De ce point de vue « l’électro choc » provoqué par le « New Space » si l’on sait l’utiliser peut marquer le début du redressement d’une situation. Mais attention il y a urgence nous sommes à la croisée des chemins.