THALES : DES SYSTÈMES D’ARMES AUX C2, FACTEURS DE SUPÉRIORITÉ ET NOUVELLES VULNÉRABILITÉS (ATELIER 2)

Parmi les différentes conséquences de la numérisation sur l’environnement opérationnel et stratégique des armées, nous voyons l’émergence, de plus en plus marquée et concrète, de deux nouveaux champs de bataille. Là où l’espace et le cyber espace étaient jusqu’alors des zones d’influence et de friction, celles-ci pourraient dans les prochaines décennies évoluer vers des véritables zones de confrontation de plus en plus explicites.
 
Dans le cyber espace, cette évolution sera tirée par la connexion croissante de plus en plus de plateformes. Autrement dit, de plus en plus de « portes » par lesquelles pourra entrer l’ennemi pour conduire des opérations de déstabilisation, de renseignement ou de destruction. De surcroît, une plus grande dépendance aux infrastructures informatiques, et une concentration des données critiques dans des « lacs de données » (data lakes), constitueront un accroissement des vulnérabilités par rapport aux menaces, sous forme de logiciels, mais aussi sous forme « physique », pesants sur les infrastructures hébergeant ces Clouds et autres data lakes.
 
Le 13 mars 1912 le commandant Charles de Rose, l’un des pères de l’aviation de chasse française, s’interrogeait sur le rôle des avions dans la guerre : « Les aéroplanes détruiront-ils les autres aéroplanes ? Cette question n’est pas encore au point ». Aujourd’hui, le cyber espace fait partie de l’espace de combat. Cette transformation numérique qui engage les armées à agir via le cyber espace (combat collaboratif) et dans le cyber espace (lutte informatique) est une révolution technologique qui implique une modification profonde des modes d’action, voire des organisations des armées. Des intelligences artificielles détruiront-elles un jour les systèmes d’armes ? Cette question n’est pas encore au point…
 
Le cyber espace offre de nouvelles opportunités capacitaires pour les armées : échanges de données interarmes, interarmées, inter-milieux. Mais il contribue aussi au « brouillard de la guerre » par une avalanche de données, qui rendra indispensable le recours à l’intelligence artificielle dans le processus de décision du chef.
 
Le combat collaboratif bénéficiant de la transformation numérique procurera aux armées une supériorité sur le théâtre. Cette supériorité est conditionnée par un écosystème d’innovations technologiques et de moyens de combat, avec des concepts d’opérations adaptés aux nouveaux systèmes d’armes développés dans des environnements eux-mêmes cyber-sécurisés et capables d’agir dans des environnements contestés (bande passante, résilience, stress) face à la prolifération des armes informatiques.
 
Cet écosystème doit rassembler les armées et les industriels de confiance, dans une approche décloisonnée, à l’image des systèmes d’information devenus eux-mêmes des écosystèmes informatisés d’échanges de données (plateforme) transformant les périmètres technique, organisationnel et juridique. Dans ce contexte de révolution numérique, où la France se trouve dans une situation de colonie numérique, nous appelons de nos vœux la consolidation de cet écosystème qui garantira notre autonomie stratégique.
 
Dans l’espace, la course à l’armement commence tout juste. Plusieurs facteurs y contribuent. Aujourd’hui, les satellites sont déjà des outils de souveraineté. Les systèmes spatiaux fournissent des capacités majeures en matière de télécommunications sécurisées, renseignement image et électromagnétique, navigation, alerte avancée et surveillance de l’espace. Ils augmentent de manière significative l’efficacité de l’outil militaire, aux niveaux stratégique, opératif et tactique.
 
L’accès à l’espace, de même que l’utilisation de ce milieu au profit de la défense et de la sécurité de la Nation, constituent désormais des enjeux stratégiques majeurs qu’il est nécessaire de protéger, pour des raisons de résilience des armées et de liberté d’action des chefs militaires, du niveau stratégique au niveau tactique.
 
Alors que le nombre d’acteurs privés et publics agissant dans l’espace s’accroît, les risques et les menaces dans ce milieu augmentent. Désormais, en plus des débris de plus en plus nombreux, des objets non identifiés pourraient s’approcher de nos satellites militaires pour y conduire des actions sans doute de renseignement.
 
Les menaces actuelles nous invitent donc à améliorer la protection de nos satellites et notre connaissance de la situation spatiale. Une agression contre un moyen spatial d’intérêt de défense doit pouvoir être caractérisée, afin d’être en mesure de prouver qu’il s’agit effectivement d’une agression et d’en identifier l’auteur ou, à défaut, l’origine, à l’identique des attaques dans le monde cyber.
 
En état actuel, en matière de surveillance de l’espace, la France et l’Allemagne disposent de leurs propres radars. Thales, qui développe le C2 de tenue de la situation spatiale pour la défense française, propose qu’il soit adapté pour permettre une mise en commun des informations issues de ces capteurs et qu’il soit enrichi de nouvelles fonctions de gestion de crise. Pour ce qui concerne la protection des satellites, Thales propose que soient embarqués à bord des futurs satellites de la défense des dispositifs de surveillance locale. Enfin, Thales, qui développe des briques technologiques de véhicules spatiaux manœuvrant pour des services en orbite, propose à la Défense de réfléchir à leur adaptation à un usage de la sécurité en orbite.
 
La militarisation de l’Espace vient de passer un cap majeur avec le lancement officiel aux USA d’une armée de l’Espace. Les grandes puissances spatiales ne pourront pas rester indifférentes et pourraient réagir, faisant de facto de l’Espace un nouvel enjeu de souveraineté dans les années à venir. La France et l’Europe doivent rapidement bâtir une stratégie ambitieuse dans ce domaine. Le cyber espace a déjà franchi un cap, dans le sens où plusieurs pays disposent des forces « cyber » pour résister et contrer les menaces. Cependant, nous ne saurons faire face aux enjeux d’autonomie stratégique liés à ces deux espaces de bataille que dans la mesure où l’ensemble de prescripteurs, développeurs, industriels et utilisateurs partageront les besoins opérationnels et une vision commune de la feuille de route pour les remplir. Dans un monde où les technologies numériques évoluent très vite, la supériorité sur ces nouveaux champs de bataille passe aussi par l’adoption de méthodes de développement et d’acquisition plus agiles adaptées à l’hyper-complexité des systèmes.